Textes

Rêve d’Orient

  • 31 mars 2017

Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots. De son hublot, il rêvait des paysages qu’il imaginait être ceux de l’Orient. Des femmes surgissaient puis s’évanouissaient lentement dans l’ombre, au détour d’une haie de palmiers, comme une fontaine s’épuise, comme un écho disparaît. Dans l’encadrement du hublot où la surface des vagues ondoyait et se balançait à l’infini, il scrutait puis discernait à nouveau plus ou moins distinctement l’image de ses personnages surgis de son imagination et du désir où le tenait son rêve d’Orient. Alors il imaginait des compositions fantastiques des fantasias foudroyantes, des tentes berbères hérissées de drapeaux et d’emblèmes, des pièces aux murs de chaux vives plongées dans une pénombre douce, ou au contraire dans des flux de lumière où le soleil virevolte à travers les moucharabiehs.

Et son imagination qui vagabondait à la surface de l’eau, se perdait dans la contemplation des théories de figures mal identifiées, mais qu’il associait dans son esprit aux souvenirs des natures mortes ou des peintures orientalistes que, bien des années auparavant il avait regardées dans les vastes salles du Louvre. Tantôt cédant à le frénésie toujours renouvelée de sa vision et à l’injonction de la lumière qui, du dehors, éclairait sa cabine, il couvrait les vastes étendues marines qui s’offraient à sa vue d’architectures gigantesques, de portes et d’arcades fabuleuses qui se multipliaient et se réfléchissaient à l’infini, comme une topographie mythique qu’irradiait les derniers rayons du soleil. Tantôt, dans un mouvement de repli, sa rêverie le conduisait dans quelques cabines de curiosités où se superposaient ses visions d’orient et la nostalgie d’objets que le temps avait alanguis et dont il redessinait les contours à sa guise. Il vit des tulipes rose et noires, des fruits disposés dans une coupe, une vasque, des tasses et des vases, dont les cernes se confondaient avec ceux des femmes qui l’habitaient. Il chercha l’éthiopienne, et crut un instant l’entrevoir à l’ombre du mûrier de Platon. A la fin, ses visions se mêlèrent, et dans l’épuisement où l’avait conduit le délire de son imagination, il crut voir un parasol gigantesque planant au dessus de la mer.

Par GUSTAVE FLAUBERT
Par NORBERT HILLAIRE